A PROPOS DES LANGUES SACRÉES
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Bien entendu, tout cela ne veut nullement dire qu'il n'y ait pas de raisons pour que le Christianisme ait ce caractère exceptionnel d'être une tradition sans langue sacrée ; il doit au contraire y en avoir très certainement, mais il faut reconnaître qu'elles n'apparaissent pas clairement à première vue, et sans doute faudrait-il, pour parvenir à les dégager, un travail considérable que nous ne pouvons songer à entreprendre ; du reste, presque tout ce qui touche aux origines du Christianisme et à ses premiers temps est malheureusement enveloppé de bien des obscurités. On pourrait aussi se demander s'il n'y a pas quelque rapport entre ce caractère et un autre que n'est guère moins singulier : c'est que le Christianisme ne possède pas non plus l'équivalent de la partie proprement « légale » des autres traditions ; cela est tellement vrai que, pour y suppléer, il a dû adapter à son usage l'ancien droit romain, en y faisant d'ailleurs des adjonctions, mais qui, pour lui être propres, n'ont pas davantage leur source dans les Écritures mêmes (1).
En rapprochant ces deux faits d'une part, et en se souvenant d'autre part que, comme nous l'avons fait remarquer en d'autres occasions, certains rites chrétiens apparaissent en quelque sorte comme une "extériorisation" de rites initiatiques, on pourrait même se demander si le Christianisme originel n'était pas en réalité quelque chose de très différent de tout ce qu'on en peut penser actuellement ; sinon quant à la doctrine elle-même, du moins quant aux fins en vue des quelles il était constitué. Nous n'avons voulu ici, pour notre part, que poser simplement ces questions, auxquelles nous ne prétendrons certes pas donner une réponse ; mais, étant donné l'intérêt qu'elles présentent manifestement sous plus d'un rapport, il serait fort à souhaiter que quelqu'un qui aurait à sa disposition le temps et les moyens de faire les recherches nécessaires à cet égard puisse, un jour ou l'autre, apporter là-dessus quelques éclaircissements.
(1) on pourrait dire, en se servant d'un terme emprunté à la tradition islamique, que le Christianisme n'a pas de shariyah ; cela est d'autant plus remarquable que, dans la filiation traditionnelle qu'on peut appeler "abrahamique", il se situe entre le Judaïsme et 1’Islamisme, qui ont au contraire l'un et l'autre une shariyah fort développée.
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