VERS LA DISSOLUTION
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Nous devons en effet remarquer à ce propos que des « traditionalistes » mal avisés se réjouissent inconsidérément de voir la science moderne, dans ses différentes branches, sortir quelque peu des limites étroites où ses conceptions s'enfermaient jusqu'ici, et prendre une attitude moins grossièrement matérialiste que celle qu'elle avait au siècle dernier; ils s'imaginent même volontiers que, d'une certaine façon, la science profane finira par rejoindre ainsi la science traditionnelle (qu'ils ne connaissent guère et dont ils se font une idée singulièrement inexacte, basée surtout sur certaines déformations et « contrefaçons » modernes), ce qui, pour des raisons de principe sur lesquelles nous avons souvent insisté, est chose tout à fait impossible. Ces mêmes « traditionalistes » se réjouissent aussi, et peut-être même encore davantage, de voir certaines manifestations d'influences subtiles se produire de plus en plus, ouvertement, sans songer aucunement à se demander quelle peut bien être au juste la « qualité » de ces influences (et peut être ne soupçonnent-ils même pas qu'une telle question ait lieu de se poser); et ils fondent de grands espoirs sur ce qu'on appelle aujourd'hui la « métapsychique » pour apporter un remède aux maux du monde moderne, qu'ils se plaisent généralement à imputer exclusivement au seul matérialisme, ce qui est encore une assez fâcheuse illusion. Ce dont ils ne s'aperçoivent pas (et en cela ils sont beaucoup plus affectés qu'ils ne le croient par l'esprit moderne, avec toutes les insuffisances qui lui sont inhérentes), c'est que, dans tout cela, il s'agit en réalité d'une nouvelle étape dans le développement, parfaitement logique, mais d'une logique vraiment « diabolique », du "plan" suivant lequel s'accomplit la déviation progressive du monde moderne; le matérialisme, bien entendu, y a joué son rôle, et un rôle incontestablement fort important, mais maintenant la négation pure et simple qu'il représente est devenue insuffisante; elle a servi efficacement à interdire à l'homme l'accès des possibilités d'ordre supérieur, mais elle ne saurait déchaîner les forces inférieures qui seules peuvent mener à son dernier point l’œuvre de désordre et de dissolution. L'attitude matérialiste, par sa limitation même, ne présente encore qu'un danger également limité; son « épaisseur », si l'on peut dire, met celui qui s'y tient à l'abri de toutes les influences subtiles sans distinction, et lui donne à cet égard une sorte d'immunité assez comparable à celle du mollusque qui demeure strictement enfermé dans sa coquille, immunité d'où provient, chez le matérialiste, cette impression de sécurité dont nous avons parlé; mais, si l'on fait à cette coquille, qui représente ici l'ensemble des conceptions scientifiques conventionnellement admises et des habitudes mentales correspondantes, avec l' « endurcissement » qui en résulte quant à la constitution « psycho-physiologique » de l'individu (3), une ouverture par le bas, comme nous le disions tout à l'heure, les influences subtiles destructives y pénétreront aussitôt, et d'autant plus facilement que, par suite du travail négatif accompli dans la phase précédente; aucun élément d'ordre supérieur ne pourra intervenir pour s'opposer à leur action. On pourrait dire encore que la période du matérialisme ne constitue qu'une sorte de préparation surtout théorique, tandis que celle du psychisme inférieur comporte une "pseudo-réalisation", dirigée proprement au rebours d'une véritable réalisation spirituelle ;nous aurons encore, par la suite, à .nous expliquer plus amplement sur ce point encore La dérisoire sécurité de la « vie ordinaire », qui était l'inséparable accompagnement du matérialisme,.est dès maintenant, fortement menacée, certes, et l'on verra sans doute de plus en. plus clairement et aussi de plus en plus généralement, qu'elle n'était qu'une illusion; mais quel avantage réel y a-t-il à cela si ce n'est que pour tomber aussitôt dans une autre illusion pire que celle-là et plus dangereuse à tous les points de vue, parce qu'elle comporte des conséquences beaucoup plus étendues et plus profondes, illusion qui est celle d'une « spiritualité à rebours » dont les divers mouvements « néo-spiritualistes » que notre époque a vus naître et se développer jusqu'ici, y compris même ceux qui présentent déjà le caractère le plus nettement « subversif », ne sont encore que de bien faibles et médiocres précurseurs ?
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