Avant-propos de Roger Maridort p.7
L'ésotérisme islamique. p.13
L'écorce et le noyau (El Qishr wa el-Lobb). p.29
Et-Tawhid. p.37
El-Faqru. p.44
Er-Rûh. p.54
La chirologie dans l'ésotérisme islamique. p.68
Influence de la civilisation islamique en Occident- p.76
Création et manifestation. p.88
Taoïsme et Confucianisme. p.102
Annexe : Compte rendus de livres et de revues
Sur l'ésotérisme islamique. p.133
Sur le Taoïsme. p.154
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CHAPITRE II
L’ECORCE ET LE NOYAU
(El Qishr wa el-Lobb)
Ce titre, qui est celui d'un des nombreux traités de Seyidi Mohyiddin ibn Arabi, exprime sous une forme symbolique les rapports de l'exotérisme et de l'ésotérisme, comparés respectivement à l'enveloppe d'un fruit et à sa partie intérieure, pulpe ou amande'. L'enveloppe ou l'écorce (el-qishr) c'est la shariyâh, c'est-à-dire la loi religieuse extérieure, qui s'adresse à tous et qui est faite pour être suivie par tous, comme l'indique d'ailleurs le sens de « grande route » qui s'attache à la dérivation de son nom. Le noyau (el-lobb), c'est la haqîqah, c'est-à-dire la vérité ou la réalité essentielle, qui, au contraire de la shariyah, n'est pas à la portée de vrir sous les apparences et l'atteindre à travers les formes extérieures qui la recouvrent, la protégeant et la dissimulant tout à la fois (1). Dans un autre symbolisme, shariyah et haqiqah sont aussi désignées respectivement comme le « corps » (el jism) et la « moelle » (el-mukh) (2), dont les rapports sont exactement les mêmes que ceux de l'écorce et du noyau; et sans doute trouverait-on encore d'autres symboles équivalents à ceux-là.
Ce dont il s'agit, sous quelque désignation que ce soit, c'est toujours l' « extérieur » (ez-zâher) et l' « intérieur » (el-bâten), c'est-à-dire l'apparent et le caché, qui d'ailleurs sont tels par leur nature même, et non pas par l'effet de conventions quelconques ou de précautions prises artificiellement, sinon arbitrairement, par les détenteurs de la doctrine traditionnelle. Cet « extérieur » et cet « intérieur » sont figurés par la circonférence et son centre, ce qui peut être considéré comme la coupe même du fruit évoqué par le symbolisme précédent, en même temps que nous sommes ainsi ramené d'autre part à l'image, commune à toutes les traditions, de la « roue des choses » . En effet, si l'on envisage les deux termes dont il s'agit au sens universel, et sans se limiter à l'application qui en est faite le plus habituellement à une forme traditionnelle particulière, on peut dire que la shariyah, la « grande route » parcourue par tous les êtres, n'est pas autre chose que ce que la tradition extrême-orientale appelle le «courant des formes», tandis que la haqîqah, la vérité une et immuable, réside dans l' « invariable milieu » (3). Pour passer de l'une à l'autre, donc de la circonférence au centre, il faut suivre un des rayons : c'est la tarîqah, c'est-à-dire le « sentier », la voie étroite qui n'est suivie que par un petit nombre (4).
Il y a d'ailleurs une multitude de turuq, qui sont tous les rayons de la circonférence pris dans le sens centripète, puisqu'il s'agit de partir de la multiplicité du manifesté pour aller à l'unité principielle : chaque tarîqah, partant d'un certain point de la circonférence, est particulièrement appropriée aux êtres qui se trouvent en ce point; mais toutes, quel que soit leur point de départ, tendent pareillement vers un point unique (5), toutes aboutissent au centre et ramènent ainsi les êtres qui les suivent à l'essentielle simplicité de l' « état primordial ».
NOTES
(1) On pourra remarquer que le rôle des formes extérieures est en rapport avec le double sens du mot « révélation », puisqu'elles manifestent et voilent en même temps la doctrine essentielle, la vérité une, comme la parole le fait d'ailleurs inévitablement pour la pensée qu'elle exprime; et ce qui est vrai de la parole, à cet égard, l'est aussi de toute autre expression formelle.
(2). On se rappellera ici la « substantifique moelle » de Rabelais, qui représente aussi une signification intérieure et cachée.
(3) Il est à remarquer, à propos de la tradition extrême orientale, qu'on y trouve les équivalents très nets de ces deux termes, non comme deux aspects exotérique et ésotérique d'une même doctrine, mais comme deux enseignements séparés, du moins depuis l'époque de Confucius et de Lao-tseu : on peut dire en effet, en toute rigueur, que le Confucianisme correspond à la shariyah et le Taoïsme à la haqîqah.
(4). Les mots shariyak et tarîqah contiennent l'un et l'autre l'idée de « cheminement »; donc de mouvement (et il faut noter le symbolisme du mouvement circulaire pour la première et du mouvement rectiligne pour la seconde); il y a en effet changement et multiplicité dans les deux cas, la première devant s'adapter à la diversité des conditions extérieures, la seconde à celle des natures individuelles; seul, l'être qui a atteint effectivement la haqîqah participe par là même de son unité et de son immutabilité.
(5) Cette convergence est figurée par celle de la qiblah (orientation rituelle) de tous les lieux vers la Kaabah, qui est la a maison de Dieu » (Beit Allah), et dont la forme est celle d'un cube (image de stabilité) occupant le centre d'une circonférence qui est la coupe terrestre (humaine) de la sphère de l'Existence universelle.