MAYA
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M. A. K. Coomaraswamy a fait remarquer récemment (2) qu'il est préférable de traduire Mâya par « art » plutôt que par «illusion» comme on le fait le plus habituellement ; cette traduction correspond en effet à un point de vue qu'on pourrait dire plus principiel. « Celui qui produit la manifestation par le moyen de son « art » est l'Architecte divin, et le monde est son « oeuvre d'art » ; comme tel, le monde n'est ni plus ni moins irréel que ne le sont nos propres oeuvres d'art, qui, à cause de leur impermanence relative, sont aussi irréelles si on les compare à l'art qui « réside » dans l'artiste." Le danger principal de l'emploi du mot « illusion », en effet, c'est qu'on risque trop souvent de le faire synonyme d'« irréalité » entendue d'une façon absolue, c'est-à-dire de considérer les choses qu'on dit illusoires comme n'étant qu'un néant pur et simple, alors qu'il s'agit seulement de degrés différents dans la réalité ; mais nous reviendrons plus loin sur ce point. Pour le moment, nous ajouterons à ce propos que la traduction assez fréquente de Mâya par « magie », qu'on a prétendu parfois appuyer sur une similitude verbale tout extérieure et qui ne résulte en fait d'aucune parenté étymologique, nous paraît fortement influencée par le préjugé occidental moderne qui veut que la magie n'ait que des effets purement imaginaires, dépourvus de toute réalité, ce qui revient encore à la même erreur. En tout cas, même pour ceux qui reconnaissent la réalité, dans leur ordre relatif, des phénomènes produits par la magie, il n'y a évidemment aucune raison d'attribuer aux productions de l'« art » divin un caractère spécialement « magique », non plus d'ailleurs que de restreindre de quelque autre façon la portée du symbolisme qui les assimile aux « oeuvres d'art »entendues dans leur sens le plus général « Mâyâ » est le « pouvoir » maternel (Shakti) par lequel agit l'Entendement divin ; plus précisément encore, elle est Kriyâ-Shakti, c'est-à-dire l'« Activité divine » (qui est Ichchhâ-Shakti). Comme telle, elle est inhérente à Brahma même ou au Principe suprême ; elle se situe donc à un niveau incomparablement supérieur à celui de Prakriti, et, si celle-ci est aussi appelée Mâyâ, notamment dans le Sânkhya, c'est qu'elle n'est en réalité que le reflet de cette Shakti dans l'ordre « cosmologique » (2) ; on peut d'ailleurs remarquer ici l'application du sens inverse de l'analogie, la suprême Activité se reflétant dans la pure passivité, et la « toute-puissance » principielle dans la potentialité de la materia prima. De plus, Mâyâ, par là même qu'elle est l'« art » divin qui réside dans le Principe, s'identifie aussi à la « Sagesse », Sophia, entendue exactement dans le même sens que dans la tradition judéo-chrétienne ; et, comme telle, elle est la mère de l'Avatâra : elle l'est tout d'abord, quant à sa génération éternelle, en tant que Shakti du Principe, qui ne fait d'ailleurs qu'un avec le Principe lui-même dont elle n'est que l'aspect « maternel » (3) ; et elle l'est aussi, quant à sa naissance dans le monde manifesté, en tant que Prakriti, ce qui montre encore plus nettement la connexion existant entre ces deux aspects supérieur et inférieur de Mâyâ (1). Nous pouvons faire une autre remarque, se rattachant directement à ce qui vient d'être dit de l'« art s divin, en ce qui concerne la signification du « voile de Mâyâ » : celui-ci est avant tout le « tissu » dont est faite la manifestation du tissage dont nous avons parlé ailleurs (2), et, bien qu'on semble généralement ne pas s'en rendre compte, cette signification est indiquée très clairement dans certaines représentations, où sur ce voile sont figurés des êtres divers appartenant au monde manifesté. Ce n'est donc que secondairement que ce voile apparaît en même temps comme cachant ou enveloppant en quelque sorte le Principe, et cela parce que le déploiement de la manifestation dissimule en effet celui-ci à nos regards ; ce point de vue, qui est celui des êtres manifestés, est d'ailleurs encore inverse du point de vue principiel, car il fait apparaître la manifestation comme « extérieure » par rapport au Principe, tandis qu'elle ne peut en réalité lui être qu'« intérieure », puisque rien ne saurait exister d'une façon quelconque en dehors du Principe qui, par là même qu'il est infini, contient nécessairement toutes choses en soi. (1) Cf. La Grande Triade, ch. 1. partie finale ; il doit être bien entendu à ce propos que la tradition chrétienne, n'envisageant pas distinctement l'aspect « maternel » dans le Principe même, ne peut, explicitement tout au moins, se placer, quant à sa conception de la Theotokos, qu'au second des deux points de vue que nous venons d'indiquer. Comme le dit M. Coomaraswamy, « ce n'est pas par accident que le nom de la mère de Bouddha est Mâyâ » (de même que, chez les Grecs, Maïa est la mère d'Hermès) ; c'est là-dessus que repose aussi le rapprochement que certains ont voulu faire entre ce nom de Mâyâ et celui de Maria.
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